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Photo du rédacteurAlex Bellemare

Anthropo(climato)morphisme

La grosse lune d’à côté n’est pas enceinte


Les écrivains, l’air est connu, affectionnent les débuts de roman en forme de bulletin météo (à ce propos, je vous suggère de lire l’excellente série de billets de Luc Jodoin sur l’art consommé de l’association température/incipit). Certains auteurs utilisent le temps qu’il fait comme un marqueur instantané d’ambiance ; d’autres, pour insister sur la symbolique (matérielle ou physique) d’une action.


Chez Catherine Mavrikakis, le début d’Oscar de Profundis, écrit sur le mode de la prophétie d’un désastre annoncé, a quelque chose d’une fin inévitable :


« Cette nuit-là, la Lune grosse, blafarde, s’était encore éloignée de la Terre. Son refroidissement s’était vraisemblablement accusé. Elle semblait grelotter dans le ciel éteint. Depuis des années, les planètes prenaient leurs distances. Dans leur course, elles accentuaient un écart de plus en plus évident, comme si l’ici-bas ne séduisait plus l’immensité cosmique. Les jeunes étoiles avaient disparu. En catimini, les astres foutaient le camp. Les corps célestes répugnaient à s’approcher de la vieille croûte terrestre. Au loin, ils formaient un nuage de poussière sculptées, vagues et fières. Seul le soleil venait encore flirter lourdement avec l’horizon, tout en le menaçant d’un viol prochain, terrible, et d’ardeurs infernales. »

Le climat est ainsi doté d’une conscience proche du rebelle, du marginal, voire de l’intransigeant : « [e]n catimini » ; « [les astres] foutaient le camp » ; « les corps célestes répugnaient à s’approcher ». Le portrait d’ouverture est également brodé sur le motif de la séduction déçue, à la fois triste et acharnée : « comme si l’ici-bas ne séduisait plus l’immensité cosmique » ; « [s]eul le soleil venait encore flirter lourdement avec l’horizon, tout en le menaçant d’un viol prochain, terrible, et d’ardeurs infernales ».


Jill Pelto, Climate Change Data, 2015.

La logique qui prévaut, dans cet incipit qui reflète la fin, est celle d’un amour distant et déchu, d’un divorce programmé entre la planète bleue et les forces cosmiques : « la Terre était abandonnée du ciel » ; elle se lamente, elle tremble. Bref, la Terre ne va pas pour le mieux, cela est net.


Dans l’excellent Oscar de Profundis, le bulletin météo sur lequel s’ouvre le roman définit une échéance, une catastrophe qui est plus proche et moins romanesque qu’il n’y paraît. C’est en donnant vie au climat (par le procédé de l’anthropomorphisme, version climatique) qu’on exprime peut-être le mieux la mort prochaine de la Terre.


SOURCE : Catherine Mavrikakis, Oscar de Profundis, Montréal, Héliotrope, 2016, p. 9-10.

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